1. «Jetzt bist du ein Deutscher Knabe !».
L’été de mes treize ans, je partais pour des vacances studieuses en Allemagne. Au mois de juin, j’avais accueilli Gert,
mon correspondant allemand et c’était à mon tour de plonger en
«germanitude». Je me rappelle d’un été particulièrement chaud, et dans
le train qui nous menait à destination Joan Baez chantait en boucle la «Balade de Sacco et Vanzetti».
Je fus accueilli chaleureusement à la descente du train par Gert, quatorze ans, ses parent et par son grand frère de quinze ans, Klaus.
Immédiatement je remarquais qu’ils portaient tous les deux une
culotte de cuir. J’en avais déjà vues auparavant, mais de loin… et
j’avais été intrigué. Cette culotte courte, faite d’une matière qui
pour moi était un peu bizarre pour un short, avait quelque chose de
troublant, sans pouvoir me l’expliquer. J’en aimais la coupe large, le
pont qui se referme avec deux boutons, le revers de cuir que l’on
remonte sur les cuisses et les bretelles rassemblées sur le devant par
une pièce de cuir décorée d’une Edelweiß en corne de cerf. Je trouvais mes deux amis très beaux ainsi vêtus.
Un garçon allemand dans les années cinquante.
Arrivés à la maison, une table couverte de charcuteries, fromages,
pains et autre confiture nous attendait. J’avais une faim de loup, ça
tombait bien. Mais auparavant, les garçons me firent les honneurs de la
maison et de leurs quartiers. Je défis quelques bagages, me
déshabillais et filais sous la douche : après la dizaine d’heures de
train j’en avais bien besoin.
A mon retour dans la chambre, les vêtements que j’avais abandonné
sur une chaise avaient disparus, et je trouvais sur mon lit une culotte
de cuir, identique à celle des garçons, et bien patinée par les
années. Klaus me dit : «C'est mon ancienne «Lederhose», elle devrait bien t’aller, je te la donne, mets-la ! Après nous avons une surprise pour toi». J’étais un peu gêné, mais intérieurement trop heureux de ce cadeau. Une grande émotion s’empara de moi.
J’allais enfiler ma culotte de cuir quand Gert m’arrêta : «Non, non, il faut enlever ton slip, c’est comme ça qu’on porte une Lederhose !»
Troublé, je m’exécutais maladroitement pendant que les garçons
détournaient pudiquement le regard en riant. Puis je mis la culotte de
peau.
Elle m’allait comme un gant. Le contact rafraîchissant du cuir sur
ma peau chaude, son grain si particulier au toucher, l’odeur qui en
exhalait, la pensée que Klaus puis Gert après lui avaient porté et patiné le cuir de cette culotte pendant des années eurent un effet immédiat et inattendu… Je
rougis, les garçons qui s’en étaient aperçu se marraient entre-eux, et
bien sûr je ne comprenais pas grand chose à ce qu’ils se disaient.
Gert se saisit alors des bretelles de cuir, les boutonnant
sur le devant. Il les passa au dessus de mes épaules dénudées, les
croisa soigneusement dans le dos puis finit de les fixer. Il se plaça
devant moi sous l’œil intéressé et amusé de Klaus, resserra
fermement les sangles, faisant remonter la culotte de cuir sur mes
fesses au maximum, ajustant les revers, puis le cérémonial achevé
recula un peu. Il ouvrit la porte de l’armoire découvrant un grand
miroir. Nous étions là tous les trois, souriants, torses nus, revêtus
de la même culotte de cuir.
A son tour, m’examinant sous tous les angles d’un air malicieux, Klaus prit un air satisfait et finit par déclarer joyeusement : «Jetzt bist du ein Deutscher Knabe ! Komm !», puis il nous entraîna à sa suite.
2. Les «Lederhosen-Piraten».
Nous descendîmes à la salle à manger en dévalant l’escalier quatre à
quatre. Il faisait chaud et notre tenue légère était tout à fait
adaptée à la situation. En quinze minutes, nous fîmes honneur au goûter en avalant tout ce que
nous pouvions. Puis Gert et Klaus m’entraînèrent au dehors après avoir avisé leur mère.
Gert me passa un Rucksack puis enfourchant une vieille bicyclette, harnaché comme un chevalier teutonique dans ma culotte de cuir, je dévalais à la suite des
garçons jusqu’à la lisière de la forêt. Là, nous mîmes pied à terre. Klaus
me fit signe de ne pas faire de bruit. Nous nous avançâmes prudemment.
Tout
à coup, je perçus un chant qui s’élevait et les sons d’une guitare et
d’un harmonica. Gert indiqua la direction à prendre. Quelques mètres plus loin, il stoppa et se mit à siffler un air qui m’était familier : l’Appel Scout ! La musique s’arrêta et l’écho nous renvoya le même air mais cette fois en polyphonie.
A cet appel, cinq garçons affichant un large sourire surgirent d’on ne sait où.
Comme nous, ils étaient torses nus et portaient une culotte de cuir patinée, retenue par des
bretelles. «Je te présente nos amis, les «Lederhosen-Piraten».
C’était la surprise annoncée. Voilà pourquoi les frères avaient tant
insisté pour que je porte moi aussi la même culotte de cuir.
Nous échangeons de franches poignées de main et des accolade viriles. Il y a là Moritz, seize ans, au sourire bonhomme, qui semble être le meneur de la bande avec sa guitare en bandoulière, puis Karl, quinze ans, le joueur d’harmonica, Gunther, quatorze ans et demi, son foulard noir drôlement noué autour du cou puis les jumeaux Thomas et Jürgen, treize ans, qui se chamaillent fraternellement pour je ne sais quoi.
Lorsqu’il était venu en visite en France, Gert et moi
avions longuement parlé de scoutisme. Il m’avait accompagné lors
d’un week-end de Patrouille où il avait fait sensation avec sa culotte de cuir, et il avait bien tenté de m’expliquer le
fonctionnement de sa bande, mais je n’y comprenais rien. Là, d’un coup la
lumière fût et je me rappelais ses explications : ils sont Wandervögel, des Oiseaux Migrateurs, leur emblème est la cigogne et leur devise c’est «Wild und Frei», sauvages et libres…
Séduite par les récits de Gert, la «Patrouille Libre du Faucon» a décidé d’inviter les Pirates
au camp d’été et je suis ici en ambassade. En effet, le Faucon campe au mois d’août en Allemagne à cinquante kilomètres de l’endroit
où nous nos trouvons. Nous participerons à un grand rassemblement qui doit réunir un nombre conséquent de Patrouilles Libres de France et d’Allemagne. Ah oui au fait, je suis le troisième de pat’ du Faucon, cuistot de son état !
Les «Lederhosen-Piraten» ont établi un solide bivouac :
des doubles toits ont été tendus de part et d’autre d’un dispositif
en fer à cheval. Le comité d’accueil nous invite à prendre place autour
du feu de camp qui crépite.
Chacun veut s’asseoir à côté de moi, c’est un joyeux chahut. Moritz plaque quelques accords sur sa guitare et le silence se fait. Alors, entre chien et loup, une douce mélopée s’éleve du bivouac. «Ich hat’ ein Kamerad, J’avais un camarade». Au dessus de la forêt bavaroise, à ce moment précis, le temps semble s’être arrêté…
Pour Moritz, et à la mémoire de Jean-Louis Foncine, Serge Dalens et Pierre Joubert.
A suivre…